Extraits

Edith :    Qu’importe que la Hollande soit à l’abri de la guerre aujourd’hui ? Comme un corps qui se gangrène,

l’ombre gagne sur la lumière dans l’Europe toute entière.                                                              

Rosa :     Non, le Seigneur ne nous laissera pas sans refuge, et Frieda, Eva, Paul ?  Il faudra bien qu’ils fuient

quelque part, eux aussi.

 

Edith :    Tu peux tout demander au Seigneur et Lui tout t’accorder. Mais lorsque l’homme engage sa liberté,

lorsque tant d’hommes prennent le parti, délibéré, de faire le Mal, la liberté qu’il leur a donnée, le Seigneur ne la retire pas. La lutte entre le Bien et le Mal est engagée; Le déchaînement est tel, Rosa, que dans cette lutte, toutes les forces seront décisives. Je doute que nous soyons à l’abri pour longtemps.                                                                                                                                                                                                                                         

Rosa :     Ne sommes-nous pas déjà plongée dans la bataille, ici, toutes deux données dans la prière ?

 

Edith :     Aurions-nous fait autrement en temps de paix ? Nos vies offertes sont nécessaires à l’équilibre du

monde comme il va, selon son cours habituel. Mais aujourd’hui le déséquilibre est tel…qui pour sauver les nôtres ? Qui pour s’engager, de tout son être, dans la bataille ? Celui à qui nous avons donné notre vie sait combien elle Lui est offerte.

 

Rosa :     Oh Edith, Edith ! Comme je te reconnais là, et comment ne pas t’entendre ! Déjà à la maison il n’y

avait que toi pour dire la vérité avec autant de clarté.

 

 

1ère journée, scène 2

 

 

 

 

L’Aumônier : « Veillez et priez ». Telle est votre vocation, non la mienne. Je l’ai compris très tôt, auprès de

mon père, attardé dans les champs. « Patience, contemple mon garçon », me disait-il penché sur la terre ensemencée, la terre noire, humide et muette. Déjà je n’avais de joie qu’un outil à la main, bêchant ou retournant. « Veillez et priez », saurais-je prendre ces armes-là ? Aujourd’hui comme hier je me vois de l’autre côté du fossé, non pas naïf, ni même ignorant, mais incapable, incapable seulement de rendre mes outils. 


1ère journée, scène 4

 

 

 

 

Mgr Lemmens: Les conséquences de notre décision, aujourd’hui, dans ce petit bureau, peuvent être lourdes.

Admettons que nous parlions. Admettons que les nazis nous entendent. Que peut-il se passer alors ?

 

Mgr Hopmans: Deux possibilités : L’indifférence ou l’attention.

Et s’ils prêtent un tant soit peu attention à notre discours, du fait du poids, peut-être, de l’Eglise dans notre pays… Alors il se peut qu’un dialogue s’engage.

 

Mgr Lemmens: Vous omettez une troisième possibilité, mon jeune frère : La répression.

 

Mgr Hopmans: La tension politique est trop grave pour qu’ils osent toucher un seul cheveu de nos têtes.

Et s’ils étaient malhabiles à ce point… Lequel d’entre nous craindrait de mourir pour son Eglise ?

 

Mgr Lemmens: Je ne parle pas de nous. Je parle des Juifs dont on s’occupera plus vite. De nos cachettes

soigneusement élaborées que l’on visitera sans ménagement. Des clôtures de nos monastères

que l’on brisera sans hésitation. Les croyez-vous dupes à ce point ? Ils n’ont enfreint encore aucune clôture. N’y reconnaissez-vous pas la main d’une diplomatie tacite ? Sans compter les Juifs chrétiens depuis peu. Mutisme là encore. Pour le moment. Qu’en sera-t-il ? Voilà peut-être le prix du silence.

 

Mgr Hopmans: Voilà peut-être le prix de la parole.

                                                                                                                     

 2ème journée, scène 1

 

 

 

 

Mgr Hopmans : La déportation aura lieu malgré nous. Notre dernier message, et sa lecture publique, a mis un terme brutal aux négociations que nous avions espérées.


Mgr Lemmens : Mais les Juifs convertis ?


Mgr Hopmans : Ceux-là
partiront aussi. D’abord peut-être.


Mgr de Jong : Et nous, nous qui avons parlé, nous,
personne ne nous inquiète:
nous continuerons de vivre.
Nous qui avons proclamé la vérité pour nous conformer au Christ, nous ne mourrons pas sur une croix

ni ne connaîtrons l’exil,
nous mourrons dans notre lit.
Nous qui avons choisis de donner notre vie pour l’Eglise, nous la verrons partir en convoi,
solidaire des Juifs jusque dans sa chair,
et nous restons sur le quai.
Nous continuerons de vivre.
Pendant des années. 

 

3ème journée, scène 4